Etonnante leçon que nous offre en ce moment le retour en grâce des équipementiers automobiles français, Valeo et Faurecia. Dans ce métier supposé sinistré, face à des clients -les constructeurs -plongés dans la plus grave crise de leur histoire, ils auraient dû être les premières victimes de la crise actuelle. Au lieu de cela, ils affichent des performances financières et boursières surprenantes. Plus 23 % depuis le début de l’année pour Faurecia, plus 60 % pour Valeo. Pourquoi ? Parce que, paradoxalement, ils sont entrés dans la crise… affaiblis, mais en cours de redressement. Démonstration avec le cas Faurecia, le plus problématique.
En août 2006, Faurecia est au fond du trou. Son PDG est débarqué à la suite d’un scandale de corruption en Allemagne, les pertes deviennent abyssales et l’ambiance est exécrable entre la société et ses grands clients. Arrivé à la tête de l’entreprise en février 2007, Yann Delabrière, ancien directeur financier de PSA, comprend vite la situation. La société dispose d’un bon portefeuille de produits, recentré autour de quatre métiers (sièges, intérieurs, échappements, pare-chocs). Elle fournit d’excellents clients, avec une présence chez tous les constructeurs mondiaux, et notamment en Allemagne, son premier marché. Ses équipes sont de qualité et sa réputation technique est reconnue.
L’entreprise ne souffre donc pas d’un problème stratégique mais d’énormes difficultés opérationnelles. Les défauts sur pièce sont nombreux ainsi que les problèmes de délais. Tout ce que détestent les constructeurs, non seulement pour leur image mais aussi parce que la défaillance d’un fournisseur dans un système qui fonctionne à flux tendu stoppe immédiatement toute la chaîne de fabrication. En 2005, on recensait 200 défauts par million de pièces fabriquées, soit dix fois plus que le standard habituel. Résultat, des relations extrêmement tendues avec les clients, qui en profitaient pour peser sur les prix, et des surcoûts ravageurs pour les marges, devenues partout négatives. Comme souvent, c’est la politique active d’acquisition durant les années 2000, avec les rachats de Bertrand Faure (sièges), de Sommer Allibert (intérieurs) et dans l’échappement qui ont structuré l’entreprise mais semé le désordre. En moins de quinze ans, le chiffre d’affaires de l’entreprise a été multiplié par plus de trente !
Cette situation a longtemps été masquée par le boum de l’industrie automobile jusqu’en 2004. A cette date, la hausse brutale du prix des matières premières s’est conjuguée à la stagnation du marché et à l’arrivée de la concurrence des pays émergents pour tendre à l’extrême les relations entre constructeurs et équipementiers. D’où la dégringolade de 2005 et 2006.
Les opportunités de la crise
La première décision, prise fin 2006, juste avant l’arrivée de l’actuel PDG, a été de recruter un patron qualité de poids. Kiichiro Sato vient de Nissan, parle à peine français, mais il sait se faire respecter. Rapportant uniquement au PDG, il parcourt les 200 usines dans le monde avec cinq auditeurs et établit une série d’indicateurs clefs, transparents et communiqués à tous en temps réel. De la discipline a été introduite dans la gestion des programmes dont l’avancement, en termes de délais, de qualité, de suivi des fournisseurs et de coûts, est suivi au jour le jour jusqu’au lancement effectif. Enfin, l’organisation, au lieu d’être bouleversée, a été juste simplifiée en réduisant à l’extrême le siège social (150 personnes sur 60.000). Ce mélange classique de discipline, de rigueur, d’autonomie et de « reporting » à permis de redresser la barre en matière de qualité et de satisfaction des clients. En juin dernier, la firme a été consacrée fournisseur privilégié par son premier client, Volkswagen.
Ce travail opérationnel de base était supposé conduire l’entreprise vers les bénéfices dès 2008. Mais au deuxième semestre de cette année, le monde s’est figé après le séisme financier parti de Wall Street. Dans une entreprise sans stock, qui reçoit ses commandes 24 heures avant livraison, cela signifie un arrêt de la production. En février 2009, le chiffre d’affaires avait chuté de près de 40 % et les budgets étaient réécrits tous les mois.
Très vite, quatre décisions ont été prises. Premièrement, ne pas toucher au programme d’amélioration opérationnelle en cours. Le traumatisme de 2006 était encore suffisamment frais dans les esprits. Deuxièmement, un plan d’économie a été lancé pour abaisser le point mort et s’adapter à un marché en chute de 20 %. Six cent millions d’économies ont été réalisés et la société a réduit ses effectifs de 20 %. Troisième action, le refinancement, d’abord à travers une augmentation de capital de 450 millions d’euros souscrite en avril 2009, y compris par la maison mère PSA. Puis, fin 2009, une émission d’obligations de 200 millions a été lancée.
Enfin, la firme s’est livrée dans le même temps à une revue des options stratégiques. Même l’option du démantèlement a été étudiée en cas d’échec de l’augmentation de capital. A l’inverse, la crise offrait de nouvelles opportunités d’acquisition. En fait, tous les grands équipementiers se sont trouvés ainsi en même temps sur le même fil étroit au-dessus de l’abîme. Qui sera la victime, qui sera le consolidateur ? « J’ai rencontré tous mes concurrents, tous se posaient la question », confie Yann Delabrière. Trois entreprises tomberont dans son escarcelle, l’américain Emcon, spécialiste du pot d’échappement, et les activités allemandes du suédois Plastal, dans les plastiques extérieurs. Celles-ci étaient en dépôt de bilan et c’est avec la bénédiction de Volkswagen que le français est intervenu. Et la semaine dernière, c’est une activité de sièges haut de gamme en Allemagne qui a été reprise.
Le défi de la profitabilité
On le voit, la crise a rebattu les cartes violemment dans le secteur et convaincu les constructeurs qu’ils devaient renforcer leurs liens avec quelques grands équipementiers capables de leur offrir sécurité d’approvisionnement et présence globale pour le lancement de modèles mondiaux. Avec ses usines sur trois continents et ses parts de marché fortes (numéro un mondial des échappements et des intérieurs, numéro trois des sièges), l’entreprise est l’un des cinq ou six équipementiers incontournables de la planète. Ce qui éloigne pour un temps le risque de nouveaux concurrents émergents. Et sa présence très majoritaire chez les trois constructeurs haut de gamme allemands lui donne un atout pour conquérir de nouveaux marchés.
L’un des grands défis à venir de Faurecia est donc de s’appuyer sur cette puissance nouvelle pour, lui aussi, se « découpler » du sort des constructeurs traditionnels et équiper les nouveaux acteurs, notamment chinois et coréen. Faurecia vient de signer avec le chinois Geely, le repreneur de Volvo, et fournit 30 % des échappements de Hyundai.
Reste un défi, et non des moindres. Celui de la profitabilité. La fragilité de Faurecia provient aussi du fait que ses spécialités sont à faible marge et peu réplicables d’un modèle à l’autre. C’est le grand clivage entre les équipementiers « technologiques », comme Bosch ou Valeo, dont les trouvailles électroniques brevetées et standardisables car petites et invisibles (ABS, Stop & Start) génèrent de fortes marges, et les « stylistes », qui produisent à façon les pièces les plus en vue. Selon les analystes d’UBS, la marge opérationnelle serait de 0,5 % sur les sièges et intérieurs et de 3,4 % sur les pare-chocs et les échappements. Or Faurecia s’est fixé comme objectif de parvenir à 5 % de marge globale d’ici à 2014. Pour cela, il faut accroître la valeur vendue. Car si les sièges se sophistiquent avec des moteurs, de la climatisation, des airbags, ce n’est pas le français qui en profite, mais des spécialistes pointus qui peuvent afficher jusqu’à 30 % de profit ! L’inventeur est toujours mieux rémunéré que l’assembleur. Le défi, en somme, sera toujours de sortir de l’asservissement du sous-traitant pour devenir un industriel à part entière.
Chiffres clefs Chiffre d’affaires 2009 : 9 milliards d’euros (13 milliards prévus en 2010).
Résultat net 2009 : - 406 millions.
Effectifs : 55.000 employés.
Points forts A rattrapé son retard en qualité.
Dans le Top-3 mondial sur ses quatre métiers.
Présence mondiale.
PSA actionnaire stable.
Points faibles Rentabilité insuffisante.
Activités sans grande synergie.
R & D encore faible.